A deux jours de la présentation de son projet de directive sur les droits sociaux des travailleurs de plateformes, je signe dans Libération aux côtés d’ Anne Hidalgo, Olivier Faure, Sylvie Guillaume, Patrick Kanner, Valerie Rabault, Boris Vallaud, Monique Lubin, Jean-luc Fichet, Eric Andrieu et Nora Mebarek, une tribune l’appelant à reprendre les recommandations du Parlement Européen, que le groupe socialiste au Séant avait également portées via ma proposition de loi au mois de mai :
👉 Présomption de salariat
👉 Inversion de la charge de la preuve en matière de requalification
👉 Transparence de l’algorithme
tribune libe uberisation

Le texte en intégralité : 

 

L’Europe au secours des droits sociaux des travailleurs des plateformes

 

Lors de sa dernière allocution télévisée, Emmanuel Macron annonçait vouloir atteindre rapidement le plein emploi dans notre pays. Si l’intention est louable, comment croire après la réforme de l’assurance chômage et son bilan en matière de droit du travail que cela ne se fera pas au prix d’une nouvelle augmentation de la précarité ? Préférant défiscaliser les pourboires plutôt que d’augmenter les salaires, il cherche en réalité à favoriser l’activité plutôt que l’emploi, l’individu plutôt que le collectif. Tous les ingrédients pour mettre à mal notre modèle social contre lequel le Cheval de Troie de l’ « ubérisation » – ou plutôt la « plateformisation » – est lancé.

 

Pourtant, le 4 mars 2020, la Cour de Cassation qualifiait un chauffeur Uber d’« indépendant fictif ». Comme d’autres cours judiciaires françaises et européennes, elle a acté qu’une partie des travailleurs des plateformes devaient être considérés comme salariés. Depuis le gouvernement procrastine et continue de davantage protéger les plateformes plutôt que les travailleurs qu’elles emploient. A se demander où est l’esprit de justice et le respect du droit ! Pourquoi le droit du travail ne s’appliquerait pas aux multinationales du numérique ? Est-il possible de laisser l’employeur s’exonérer de ses responsabilités en se cachant derrière des applications et des algorithmes ?

Ces dernières semaines, la stratégie spécieuse du gouvernement est apparue encore plus clairement. Alors qu’il jure la main sur le cœur être opposé à la création d’un « tiers statut » entre indépendance et salariat, il n’a de cesse de manœuvrer et d’entretenir malicieusement la confusion entre autonomie et indépendance permise par le dévoiement du statut d’autoentrepreneur. En leur octroyant de maigres droits sociaux, il entend signifier aux juges que ces travailleurs sont une catégorie à part et ainsi éviter des requalifications. La rapporteure de la loi sur le dialogue social dans ce secteur à l’Assemblée Nationale l’a d’ailleurs affirmé sans ambages, précisant que le but du texte est bien « de réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination » et de « sécuriser le modèle économique des plateformes ». Le gouvernement espère ainsi asseoir une jurisprudence et empêcher la requalification progressive de travailleurs de plateformes dans d’autres secteurs comme l’a parfaitement révélé le rapport du sénateur Savoldelli : santé, communication, experts-comptables… Le secteur de la livraison n’est bien que la partie émergée de la plateformisation du travail.

Dans sa mystification, le gouvernement bute sur une difficulté, celle du droit de la concurrence européenne. En effet, maintenir ces travailleurs dans un statut d’indépendants, donc d’entrepreneurs, tout en les poussant à se regrouper pour aller négocier collectivement face aux plateformes, notamment sur les prix des prestations, n’est pas compatible avec le droit de la concurrence. L’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne dispose ainsi que des entreprises ne peuvent passer des accords pour « fixer de façon directe ou indirecte les prix ». Cela se nomme un cartel ! Même le Conseil d’État, par une formule particulièrement diplomate, évoque l’« applicabilité incertaine » de la disposition gouvernementale. Pour parvenir à ses fins, Mme Borne postule une modification du droit européen sous l’égide de la commissaire Vestager. D’ailleurs la présentation des conclusions de son travail sur le sujet vient d’être retardée, pour coïncider avec la présidence Française de l’Union Européenne au premier semestre 2022 ?

 

Nous prenons la plume aujourd’hui parce que nous croyons en l’esprit de justice et au respect du droit. Nous voulons préserver notre modèle social et que nous faisons face à un gouvernement qui a balayé une par une toutes les propositions alternatives qui lui ont été soumises depuis trois ans à l’Assemblée et au Sénat, notamment par les parlementaires socialistes. Opposés à un tiers statut, nous pensons que l’économie numérique peut se déployer sur la base du salariat, pour les « indépendants fictifs » et par une véritable amélioration du statut des vrais indépendants.

Nous approuvons les recommandations du rapport Brunet, voté le 16 septembre 2021 à une très large majorité du Parlement Européen. Elle porte nombre de nos revendications : présomption de salariat pour les indépendants fictifs, inversion de la charge de la preuve (aux plateformes de prouver l’indépendance des travailleurs et non à ces derniers de démontrer leur subordination devant les prud’hommes), reconnaissance de la place des algorithmes dans la relation contractuelle… Ces idées portées par les Socialistes avaient été rejetées au Sénat en mai 2021.

Nous appelons la Commission Européenne, qui s’est saisie du sujet, à faire siennes ces recommandations. Nous saluons le commissaire européen Nicolas Schmitt qui envisage de les retranscrire dans son prochain projet de directive et qui fait d’ores et déjà face au lobby des plateformes qui brandit la menace de « la perte de centaines d’opportunités de revenus » ; ceci alors même que des plateformes comme Just Eat ou Gorillas montrent que le recours au salariat est viable.

Alors que le gouvernement français est actuellement le plus offensif d’Europe pour favoriser la dérégulation, nous nous mobilisons pour que la Présidence Française de l’Union Européenne permette d’avancer vers une harmonisation sociale par le haut et ne soit pas une entreprise de sape de la construction d’un socle de droits sociaux pour des travailleurs qui en sont dépourvus.

Nous refusons que l’économie digitalisée rime avec le travail plateformisé. Les 75 000 livreurs à vélo et chauffeurs VTC (chiffre URSSAF 2020) sont l’arbre qui cache la forêt qu’est cette entreprise de démolition dont l’issue est connue : le retour au paiement à la pièce. Le tâcheronnage ne peut devenir l’horizon du « nouveau monde ».

 

Signataires :

Anne Hidalgo, Candidate à l’élection présidentielle, Maire PS de Paris

Olivier Jacquin, Sénateur PS de Meurthe-et-Moselle

Olivier Faure, Premier Secrétaire du Parti Socialiste, Député de Seine-et-Marne

Sylvie Guillaume, Présidente PS de la délégation de la gauche sociale et écologique française au Parlement Européen

Patrick Kanner, Président du groupe socialistes, écologistes et républicains, Sénateur PS du Nord

Valérie Rabault, Présidente du groupe socialistes et apparentés, Députée PS du Tarn-et-Garonne

Monique Lubin, Sénatrice PS des Landes

Boris Vallaud, Député PS des Landes

Jean Luc Fichet, Sénateur PS du Finistère

Eric Andrieu, Député européen PS

Nora Mebarek, Députée européenne PS