Catégorie : Tribunes dans la presse (Page 3 of 12)

TRIBUNE – Il faut bâtir un système de contrôle des platesformes et de leurs algorithmes

Alors que le sénat examinera à 17h aujourd’hui un projet de loi sur la représentation des travailleurs des plateforme sur lequel nous serons avec Monique Lubin et le groupe socialiste du Sénat très offensifs, Le Monde publie la tribune que je cosigne avec d’éminents spécialistes du droit du travail et de la régulation du numérique pour appeler le gouvernement à sortir de l’ambiguïté.
Nous y formulons deux idées novatrices :
– étendre les pouvoir de la CNIL pour réguler les algorithmes
– créer une autorité de contrôle des plateformes
Nous y redéfendons nos propositions de devoir de vigilance contraignant et d’instaurer une présomption de salariat pour les « indépendants fictifs ».
Il est temps de changer la donne, La complaisance face au capitalisme de plateformes a assez duré !
Un grand merci à Stéphane Vernac, Jérôme Giusti, Brahim Ben Ali, Odile Chagny, Thierry Kirat, Emmanuel Netter et tant d’autres pour leurs incommensurables contributions ces derniers mois !
tribune ubérisation le monde

Le texte en intégralité :

 

CONTRÔLER L’ALGORITHME POUR RÉGULER L’UBERISATION

 

Aveuglée par le mirage du « capitalisme de plateformes », mode de production dans lequel un travailleur mal noté par un client peut être déconnecté dans explication, notre société a laissé s’installer un Cheval de Troie qui menace notre modèle social. Au cœur de sa matrice, l’opacité d’une « boite noire » nommée l’algorithme. Il incombe au législateur de remettre du droit et de définir des mécanismes de protection des travailleurs des plateformes de travail face à ce contremaître 2.0.

Renforcer la CNIL

Pour des raisons de sécurité, la puissance publique a su imposer le chronotachygraphe dans les cabines des chauffeurs routiers. Dès lors, nous proposons que la CNIL, autorité indépendante expérimentée et incontestée, puisse pénétrer dans les algorithmes, en dépit du secret des affaires, en certifiant et contrôlant ceux des plus importantes plateformes et en produisant des référentiels normatifs par secteurs d’activité auxquels toutes les plateformes devront se conformer. Il s’agit peu ou prou d’inventer un « algorithme public » qui contrôle certaines données de l’algorithme privé afin de se conformer au droit : durée du travail, sécurité, santé, RGPD…

Cet élargissement des compétences de la CNIL devra se traduire évidemment par une augmentation de son budget. La nouvelle taxe sur les plateformes instaurée cette année le permettra.

Une nouvelle autorité indépendante pour protéger les travailleurs

Si l’algorithme est au cœur de la problématique, il est indispensable, en parallèle, de bâtir un système de contrôle des plateformes et des relations qu’elles entretiennent avec les travailleurs. La création d’une nouvelle autorité indépendante en sera la pierre angulaire. Le rapport Frouin (novembre 2020) en a esquissé les premiers contours. Cette autorité agréera les plateformes de travail. Elle devra être composée d’inspecteurs chargés de vérifier et de contrôler les mécanismes de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, les modalités de calcul et de versement de la rémunération, le dialogue social, la prévention des risques d’atteinte aux droits et libertés des travailleurs, des atteintes à l’environnement et de mesurer le degré de vigilance.

Cette autorité devra évidemment disposer d’un pouvoir fort de sanction allant jusqu’au refus de l’octroi d’une licence d’activité voire la suspension ou la cessation de l’activité d’une plateforme en France.

Responsabilisation des plateformes et présomption de salariat

Enfin, il est fondamental de responsabiliser les plateformes sur l’algorithme et le contrôle de sa mise en œuvre. Cela passera par la formation de leurs data scientists aux questions de droit du travail, de santé-sécurité, de discriminations et d’éthique. D’autre part, face à ces machines auto-apprenantes, pouvant produire des biais et des effets illicites, un devoir de vigilance contraignant sera créé : une fois saisie par les représentants des travailleurs, la plateforme aura l’obligation de vérifier et corriger les dysfonctionnements de son algorithme sous peine de poursuites.

Une fois encore, le gouvernement reste au milieu du gué. L’autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) qu’il est en train de créer fait fi, de surcroît, des réserves juridiques sur les modalités qu’il a retenues concernant la représentation des seuls chauffeurs et livreurs. Ces travailleurs étant juridiquement des indépendants, le résultat de ce dialogue reviendrait à faire s’accorder des entreprises entre elles, ce que proscrit le droit européen de la concurrence.

Nous proposons de renverser la charge de la preuve concernant le statut de ces travailleurs : aux plateformes de prouver qu’ils sont bien des indépendants et non à eux de démontrer leur subordination, trop souvent cachée par l’algorithme. La Cour de Cassation n’a-t-elle pas qualifié d’ « indépendant fictif » un chauffeur Uber le 4 mars 2020 ?

Cette proposition d’introduire une présomption de salariat a d’ailleurs été défendue (sans succès) par les sénateurs socialistes dans une proposition de loi fin mai, mais a été reprise tant par le gouvernement espagnol que dans un rapport d’une eurodéputée LREM largement voté le 16 septembre. Assumons que la France soit à l’avant-garde de ce combat au niveau européen !

 

Signataires :

 

Olivier JACQUIN, Sénateur PS de Meurthe-et-Moselle

Stéphane VERNAC, Professeur de droit privé à l’université de St Etienne

Jérôme GIUSTI, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies

Thierry KIRAT, directeur de recherche au CNRS, spécialisé sur les enjeux juridiques et sociaux de l’intelligence artificielle

Emmanuel NETTER, professeur de droit privé à l’université d’Avignon, spécialisé en droit du numérique

Brahim BEN ALI, chauffeur VTC, Secrétaire général de l’intersyndicale nationale des VTC

Odile CHAGNY, économiste, co-animatrice du réseau Sharers&workers et co-auteure de Désubériser, reprendre le contrôle

 

Tribune – Chlordécone et désastres écologiques: reconnaître le crime d’écocide pour rendre justice

A l’initiative de mon collègue député PS de Seine-Maritime Gérard Leseul, je signe cette tribune dans le Huff Post pour alerter sur les désastres écologiques et réclamer l’instauration d’un véritable crime d’écocide.

Ce sera l’un des principaux enjeux des débats sur la loi climat qui arrive au Sénat au mois de juin. J’avais déjà porté sur ce sujet de l’écocide la voix des sénateurs socialistes en 2019 lors de l’examen de la proposition de loi de Jérôme Durain… la droite et le gouvernement avaient conjointement repoussé le texte.

TRIBUNE – Quel avenir pour les mobilités dans les espaces peu denses ?

Je publie dans La Revue Parlementaire une tribune qui fait suite à mon rapport de prospective sur les mobilités dans les espaces peu denses à horizon 2050, complété par cet article d’analyse.

Enjeu climatique, transformation des modes de vie, du rapport au travail, à l’espace et au temps, nouvelles technologies… les besoins de se déplacer vont être profondément impactés dans les années à venir.

Nous pourrions entrer dans une nouvelle ère : celle de la « démobilité », de la réduction des mobilités subies. Ce qui comptera sera moins le fait de se déplacer que d’avoir l’accessibilité : c’est-à-dire l’accès au service, sous une forme éventuellement dématérialisée. Le confinement du printemps 2020 en a constitué le laboratoire grandeur nature.

Il n’y a pas de fatalité à ce que les espaces peu denses restent sans alternative au véhicule thermique individuel et à l’autosolisme. A la condition cependant que les collectivités se saisissent de cette politique coûteuse et qui demande du sur mesure, donc une ingénierie dédiée. Il convient donc que tous les EPCI trouvent un modèle économique pour financer ces politiques et que l’on sorte des seules logiques d’expérimentations, qui ne font pas une politique publique. En effet la LOM a utilement décrété qu’il ne devait pas y avoir de zones blanches des mobilités. Or, certains EPCI sont dépourvus de base fiscale de « versement mobilité » [taxe sur les salaires totalement affectées à la collectivité organisatrice des mobilités] faute d’un tissu d’entreprises suffisantes sur leur territoire. Cette rupture d’égalité doit encore être corrigée. Seconde condition : que ces politiques soient organisées à bonne échelle et donc au plus proche des « bassins de mobilité » et en lien étroit avec les politiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Les périmètres administratifs des EPCI sont en effet dépassés par les modes de vie de nos concitoyens qui ont pour souci d’aller d’un point A à un point B sans se préoccuper des organisations administratives.

La décarbonation des déplacements est un élément essentiel de réponse à l’impératif écologique auquel les espaces peu denses n’échapperont pas. Il convient de s’y préparer sans attendre. Plusieurs pistes d’avenir doivent être encouragées dans une logique intermodale :

Pour assurer la connexion des zones peu denses aux aires urbaines, l’ensemble des solutions doit être organisé dans une logique de rabattement vers les modes lourds (trains, lignes régulières de bus).

La voiture répond à 90 % des déplacements dans ces espaces. Aussi la « socialisation » d’une partie du parc s’impose comme une évidence. Elle prend des formes diverses comme l’autopartage ou le covoiturage.

Le développement des modes actifs, de la marche au vélo sous toutes ses formes (vélo à assistance électrique, vélomobile), constitue une piste d’avenir mais exige la mise en place dans les campagnes d’un véritable « système vélo », en adaptant les chaussées, les stationnements et en organisant la cohabitation entre les modes.

Trois paramètres se combineront pour dessiner l’avenir des mobilités pour les habitants des espaces peu denses : la reconfiguration résidentielle vers les campagnes, l’existence ou non de politiques publiques volontaristes de diversification des mobilités et enfin l’appropriation ou non par les habitants des mobilités partagées. L’articulation de ces trois paramètres pourrait varier d’un territoire à un autre, dessinant des chemins divergents que j’ai tenté de décrire à travers 8 scénarios : de la « mobilité rêvée » (1) aux scénarios du statu quo et de l’échec (6 et 7).

S’il ne fait pas de doute que la voiture gardera une place prépondérante dans les mobilités du quotidien, la création par les collectivités d’un nouvel écosystème de mobilités douces et partagées permettra de tendre vers ce scénario idyllique. A moins qu’il ne touche, dans un premier temps que les « assignés territoriaux » ces personnes ne disposant pas de voitures : sans permis, pauvres ou handicapés… (scénario 2). Cet écosystème, s’il n’est pas approprié à une large partie de la population, pose les prémices de la transition en ce qu’il l’organise (scénario 5). Il pourrait également être initié par des entreprises ou associations, palliant les manques de moyens ou de volonté des collectivités dans certains territoires (scénario 3), voire par des individus grâce au lien social fort qui existe dans ces espaces (scénario 8).

L’enjeu est bien de remettre en cause notre système de mobilité à deux vitesses (performant et accessible dans les espaces denses, faible et coûteux dans les espaces peu denses) et avec lui les fractures territoriales, au risque de créer de nouveaux « gilets jaunes ».

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