tableau vive le printemps

Pour célébrer le Printemps, ce court et beau texte de circonstances et comme une promesse:
« L’essentiel *»
« Quand la paix semble assurée, quand la situation paraît « normale », l’individu se prend naturellement lui-même pour horizon, l’impôt est peint comme une simple charge

, les services publics sont présentés comme un coût, on vilipende le poids qu’ils font peser sur le budget, on attaque le statut des fonctionnaires, on veut gérer l’hôpital public comme une boite privée, on fait la chasse aux « déficits » des entreprises de service public, le commun tend à disparaître au profit du particulier, le public à s’effacer devant le privé.

Mais lorsque la crise arrive, lorsque la mort rôde, tout s’inverse, on s’étonne du manque de moyen des services publics, on voit dans l’hôpital la bouée de sauvetage qui nous permettra de survivre, on observe les yeux pleins de gratitude les soignants monter au front à notre place, pour nous, on se rappelle que l’impôt a un sens, que les économies budgétaires ne sont pas une fin en soi, que le fonctionnaire qui reste à son poste pendant que tant de gens partent à la campagne fait tenir la société debout, que son statut peut avoir une justification, que la vie privée peut s’arrêter nette si la vie publique flanche. Le citoyen réapparaît sous l’individu et le tout se dessine à nouveau au-delà du seul amoncellement des parties.

Ce n’est pas un hasard si le programme du CNR fut adopté en temps de guerre et si les grandes réformes (les vraies, celles qui permettent des progrès sociaux) naissent au cœur des crises, lorsque l’intérêt général prend le pas sur les intérêts particuliers, lorsque le tragique efface le comique.
« L’essentiel » dans une république, c’est cela: ce qui nous est commun, ce qui nous fait exister comme peuple. Ce qui tient debout quand tout le reste semble flancher.
Nous le voyons aujourd’hui. Souvenons-nous demain. »

(*) Raphaël Glucksmann